Un jour, une vie...
- jlsarrato1
- 12 janv. 2023
- 7 min de lecture

Sur le chemin de l'école, Paul a trois ans. Il marche sans trop savoir où il va. Il a bien compris qu'il allait à l'école. Maman et Papa le lui ont dit et répété mille fois ces derniers jours. On l'a amené chez le coiffeur. On lui a acheté des habits neufs. Ce doit être important cette école où Maman l'amène. Plus important que quand il va chez Pépé et Mémé. Plus important que les grands repas avec les cousines et les cousins où on joue l'après-midi entière.
La meilleure preuve que c'est important, c'est que cette école a été le grand sujet du mois qui vient de s'écouler. Ces dernières semaines surtout. À chaque fois que Paul et Maman ont croisé quelqu'un que Maman connaissait, Paul y a eu droit : « Alors, c'est cette année ? Tu es content d'aller à l'école ? ». Paul a vite compris qu'il devait répondre « Oui ».
Alors c'est ce qu'il a fait... en espérant qu'il ne disait pas de bêtises. En vérité, comment savoir si cette école qu'il ne connaissait pas allait lui plaire ? Comment savoir s'il allait être heureux d'y aller et d'y retourner ? Mais comme dit Papa :
« Quand on n'a pas le choix, on n'a pas le choix... ».
Sur le chemin de l'école, Paul a cinq ans. Il entre chez les grands. Les grands de la petite école. C'est étrange cette façon dont l'école est devenue la petite école. C'est vrai que la toute première fois, elle lui paraissait si grande, si immense. C'est vrai qu'il avait pleuré toute la journée quand maman l'avait laissé avec cette dame qu'il ne connaissait pas. « Tu ne vas pas pleurer cette fois, dis ? ». Non, il ne va pas pleurer. Paul n'est plus un bébé.
Paul rentre dans la classe de Françoise. Elle est gentille Françoise. Et puis, il va retrouver Eric, Moussa, Mike et Fiona. Peut-être que Fiona acceptera qu'ils partagent leur goûter ?
Alors non, Paul ne va pas pleurer. À part si Maman pleure, évidemment... parce qu'elle semble l'avoir oublié, mais elle aussi pleurait deux ans auparavant.
« Alors Maman, tu ne vas pas pleurer cette fois, dis ? ».
Sur le chemin de l'école, Paul a six ans. C'est le grand jour, c'est la rentrée. On le lui a assez répété, il est un grand maintenant, il va à la grande école. Finies les interminables récréations, les ateliers peinture et les jeux. Il va à la grande école, il y apprendra à lire et à écrire. Il y apprendra à compter. Il y apprendra à se tenir droit, à lever le doigt avant de parler. Il va apprendre tout ce que l'on a besoin de savoir quand on est grand : rester à sa place, écouter, dire et faire ce qui doit être dit et fait.
La main de Paul tremble un peu dans la main de Maman. Pourquoi le cacher ? Il a un peu d'appréhension. Est-ce qu'il sera dans la même classe que Moussa ? Que Mike ? Est-ce qu'il sera dans la même classe que Fiona ? Et puis s'il tremble un peu c'est aussi parce qu'il a peur de décevoir Maman et Papa. Et si il n'y arrivait pas ? Si les lettres restaient des signes obscurs ? Si les chiffres restaient indéchiffrables ? Si... Si... Si...
« Tu m'aimeras quand même si je n'y arrive pas, dis ? »
Sur le chemin de l'école, Paul à huit ans, c'est un grand maintenant. Un vrai grand. Il n'a plus besoin que Maman lui tienne la main. Il marche à côté, en sifflotant. Il sait qu'il va retrouver ses copains. Il sait surtout qu'il va retrouver Fiona. Est-ce qu'elle voudra bien s'asseoir à côté de lui ?
Il sait lire maintenant, il sait écrire et il sait compter. Ce n'était pas si difficile que cela en fin de compte. Il se fait punir parfois, il fait un peu le clown pour amuser les copains... parce que l'école c'est aussi cela. Pas trop cependant, il ne voudrait pas que le directeur convoque ses parents, il ne voudrait pas leur faire honte.
Et puis, il le sait, papa le lui dit tout le temps : c'est pour lui qu'il va à l'école. C'est pour son avenir. « Il ne faut pas que les petites bêtises que tu fais aujourd'hui soient le battement d'ailes du papillon qui provoquera une catastrophe demain » dit Papa. Alors quand il fait une bêtise, Paul a du mal à s'endormir... il attend demain avec inquiétude. Et demain, il ne se passe jamais rien. Alors Paul s'interroge :
« Dis Papa, c'est quand l'avenir ? »
Sur le chemin de l'école, Paul à dix ans. Il avance à pas de géant. Il avance en courant. Ce n'est pas qu'il soit pressé d'arriver. Cela fait longtemps qu'il n'y a plus de surprise, ni d'appréhension. Il sait qu'il fait sa rentrée dans la classe de Monsieur le Directeur et cela ne lui fait pas peur. Il a appris à le connaître. Il sait que chien qui aboie ne mord pas. Paul est à nouveau dans les grands de l'école. Il compte bien en profiter de cette dernière année. Dernière année d'école, dernière année d'enfance, dernière année d'insouciance... c'est le premier jour et c'est déjà la fin.
« Dis Papa, ça ressemble à ça la nostalgie ? »
Sur le chemin du collège, Paul a onze ans. Les habits neufs lui serrent un peu. Les cheveux fraîchement coupés le piquent un peu. Les chaussures neuves lui font un peu mal. Trop de neuf... Trop de peu... Trop de Maman qui a tenu à l'accompagner jusqu'à la porte du collège. Et c'est vrai qu'il était content qu'elle soit là une grande partie du trajet.
C'est vrai qu'il n'avait réussi à s'endormir que tard dans la nuit. C'est vrai que son cœur bat la chamade. Mais en arrivant aux abords du collège, cela lui a sauté aux yeux : on les reconnaît les petits, les nouveaux. On les reconnaît à leur trop de neuf et à leur Maman qui les accompagne. Et Paul n'a pas envie de se promener avec inscrit sur son front « Petit nouveau ».
« Tu sais Maman, tu me l'as beaucoup répété et c'est à moi de te le dire aujourd'hui : je suis grand maintenant ! »
Sur le chemin du collège, Paul a treize ans. Il a grandi. Papa et Maman ont fini par l'accepter il a grandi. Il en aura fallu des cris et des portes claquées, mais ils ont compris. Pour la première fois, Maman a accepté de le laisser faire la rentrée seul. En vérité, il n'est pas seul. Il fait la rentrée avec Alain, Karima, Liam, Mike, Luna, Fiona... Ils font leur rentrée de grands. Ils n'ont plus besoin de leurs parents.
Est ce que Mike apportera un paquet de cigarettes ? Est ce que Fiona se laissera embrasser ? Qui sera le premier à être renvoyé de cours et à atterrir en permanence ? Ce sont les seules questions qui comptent vraiment et on ne peut pas y répondre devant les Mamans.
« Tu t'en vas sans m'embrasser mon chéri ? »
Sur le chemin du lycée, Paul a dix-sept ans. Il a doublé sa seconde mais c'est ce qui lui a permis d'aller en S. C'est une année importante, c'est l'année du baccalauréat. Il va falloir songer à ce qu'il va faire plus tard, il va falloir songer à l'après. Avec Fiona aussi c'est une année importante... Du moins Paul l'espère. Elle s'est laissé embrassée et puis elle s'est laissée caressée et peut-être que cette année...
« Est-ce que nous sommes adultes ? »
Sur le chemin de l'université, Paul a vingt-deux ans. Il va en cours de temps en temps. Il travaille quelques heures par semaine à remplir les rayons dans un supermarché. Juste assez pour se persuader qu'il ne veut pas faire ça toute sa vie. Juste assez pour lui donner le goût des études. Il se demande parfois ce qu'est devenue Fiona. Elle est partie faire des études dans une autre ville. Ce que sont devenus Alain, Karima et Mike... et en remontant davantage encore, ce que sont devenus ses copains de l'école, ses copains avec qui il a tant joué. Et où sont ceux qui deviendront ses amis demain ? Où sont-ils et que font-ils ?
« Est-ce que je suis encore celui que j'ai été ? Est-ce que je suis déjà celui que je serai ? »
Sur le chemin de l'université, Paul a vingt-cinq ans. Il a réussi ses études. Il a réussi ses examens. Voilà, c'est terminé... Paul ne sera plus jamais un élève. Paul est vraiment un grand maintenant. Tellement grand qu'il peut vieillir. Vieillir tranquillement.
« Vole ! »
Sur le chemin de l'école, Paul a trente-trois ans. Il sent la petite main de Julien dans la sienne. Julien a trois ans. Il marche sans trop savoir où il va. Il a bien compris qu'il allait à l'école. Maman et Papa le lui ont dit et répété mille fois ces derniers jours. On l'a amené chez le coiffeur. On lui a acheté des habits neufs. Ce doit être important cette école où Maman l'amène. Plus important que quand il va chez Pépé et Mémé. Plus important que les grands repas avec les cousines et les cousins où on joue l'après-midi entière.
La meilleure preuve que c'est important, c'est que cette école a été le grand sujet du mois qui vient de s'écouler. Ces dernières semaines surtout. À chaque fois que Julien et Maman ont croisé quelqu'un que Maman connaissait, Julien y a eu droit : « Alors, c'est cette année ? Tu es content d'aller à l'école ? ». Julien a vite compris qu'il devait répondre « Oui ».
Alors c'est ce qu'il a fait... en espérant qu'il ne disait pas de bêtises. En vérité, comment savoir si cette école qu'il ne connaissait pas allait lui plaire ? Comment savoir s'il allait être heureux d'y aller et d'y retourner ? Mais comme dit Grand-Papa :
« Quand on n'a pas le choix, on n'a pas le choix... ».
©Jean-Louis Sarrato – Tous droits protégés.
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