
Une vigne a pris racine devant ma maison.
C'est un pied unique que le temps a courbé, une arche verte que des grappes gourmandes alourdissent.
Elles sont si nombreuses ces grappes. Il y a celles qui vous pendent au nez et celles qui, timides, se cachent sous les feuilles ; celles qu'un cactus voisin protège de la main scélérate et celles qui poussent si haut dans le feuillage qu'elles en deviennent inaccessibles.
J'occupe les premiers soleils de juin à guetter les rameaux naissants. J'encourage, chaque jour, les grains à mûrir au plus vite : il me tarde tant de les goûter. L'attente est longue, si longue. À les regarder chaque jour, ils me semblent demeurer ventres plats, coquilles vides.
Et puis, alors que la veille encore, les bourgeons m'apparaissaient ridicules, voilà que les premières bourses se teintent de bleu ; un bleu-sombre, presque violet, que je découvre en salivant.
Il y en a partout maintenant de ce bleu lourd de promesse. Sur une même grappe, cohabitent le raisin encore trop jeune et celui qu'il faut croquer sans tarder.
Il y en a partout. Il y en a trop. Et le soleil d'août – ce soleil aux rayons si ardents – m'enjoint de me dépêcher.
Je cueille un grain trop jeune et son acidité me fait crisser la langue ; je goûte un grain déjà trop mur qui m'inonde de sucre. Trop tôt, trop tard... ce n'est jamais le bon moment.
Maintenant que toutes les grappes s'offrent à moi, l'abondance me donne le vertige. Je délaisse les plus inaccessibles, les grains les moins appétissants. Je laisse passer des jours entiers sans grappiller le moindre grain. Il m'arrive même de souhaiter qu'arrive Septembre et que s'endorme ma vigne.
Et quand le soleil d'automne se fait plus pâle, quand mon vœu est exaucé, je découvre ce raisin que j'ai dédaigné. Tous ces grains que, dans l'insouciance de l'été, je n'ai pas croqué. Voilà que je n'ai pas assez de main pour les cueillir, pas assez de bouche pour les goûter. Pour un que je mange, dix s'écrasent au sol. Tout ce gâchis.
Combien de grains perdus ainsi ? Combien de jours que j'ai laissé filés, trompé par l'illusoire abondance ?
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