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Je me suis croisé cette nuit

  • jlsarrato1
  • 6 mars 2023
  • 2 min de lecture

Je me suis croisé cette nuit.

J'avais dix ans.

C'était un beau dimanche de juin.

Les parents parlaient, riaient, mangeaient, buvaient. Je jouais avec mes cousins.

Toutes les chaises étaient occupées.

J'avais envie de me dire « Profite de ces instants. Profite d'eux avant qu'ils ne se lèvent de table. Profite, il est déjà presque trop tard ! ».

Je ne l'ai pas fait : on ne dérange pas le bonheur.


Je me suis croisé cette nuit.

J'avais vingt ans.

Oh, que j'avais mal ! Oh, que je le pleurais cet amour déçu ! Oh, qu'il me faisait mal ce cœur dont elle ne voulait plus ! Ce cœur qui tambourinait à s'en faire péter les coronaires !

J'avais envie de me dire : « Quelle chance tu as d'aimer ainsi ! Quelle chance tu as de croire que l'on meurt d'amour ! Profite de cette passion, de cette vie débordante : il arrive toujours un moment où, de cascades en torrent, le fleuve bouillonnant atteint la plaine. ».

Je ne l'ai pas fait : je savais qu'un jour j'aurais la nostalgie de mes larmes.


Je me suis croisé cette nuit.

J'avais quarante ans.

La vie m'avait tant pris et si peu donné, c'était, du moins, ce que, amer, je me répétais.

Je n'avais que mon travail. Ce travail, parce qu'il faut bien que le cœur batte, que je l'aimais ! Autant, davantage même, que cette fille qui me faisait pleurer lorsque j'avais vingt ans !

Je l'aimais à en haïr les dimanches, à en redouter les vacances.

J'avais envie de me dire : « C'est un tort que de parler de soi en disant « Je suis instituteur ». Car, un jour, la porte de l'école se refermera, te laissant au dehors. Que diras-tu ce jour-là ? Comment te présenteras-tu ? Diras-tu de toi : « Je suis... rien. » ?


Je me suis croisé cette nuit.

Il fallait que je me lève... foutue prostate !

Et dans la glace, je me suis vu : j'avais soixante ans.

J'ai vu, sur mon visage, les traces laissées par les larmes et les deuils. J'ai vu aussi, d'autres sillons, creusés par les éclats de rire.

J'y ai cherché, naissantes, les rides à venir.

Je suis resté de longues minutes devant ce miroir, balançant entre hier et demain.

Et puis, je me suis dit : « Vis ! »

 
 
 

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